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Un gecko de grande taille inconnu collecté durant la mission ‘Namoroka 2012’ du Muséum national d’Histoire naturelle dans les Tsingy de Madagascar

Madagascar s’est éloignée du continent africain depuis 165 millions d’années (Jurassique). Elle en est à présent séparée par le Canal du Mozambique large d’environ 400 kilomètres. Cette île, la quatrième au monde par sa superficie, est un peu plus grande que la France. Elle n’est habitée que depuis environ 4 000 ans mais sa dégradation est considérable, très nettement accélérée durant le siècle passé. Il ne reste guère plus de 10% de la surface originelle de ses forêts humides et sèches soumises à de fortes pressions par une population en pleine croissance (22 millions d’habitants environ). Les découvertes d’espèces nouvelles y sont nombreuses et concernent tous les groupes : mammifères [41 en un peu plus de 10 années au début du XXIe siècle], reptiles [61], amphibiens [69], poissons [17], invertébrés [42], plantes [985], soit plus de 1200 espèces nouvelles au début du XXIe siècle en onze années. Les amphibiens malgaches comprennent plus de 300 espèces presque toutes endémiques (environ 7500 espèces au monde) alors que la France, de surface comparable, en abrite moins d’une cinquantaine. Notons également que les techniques modernes d’étude de la biodiversité montrent qu’il en existe au moins 200 en plus encore non décrites à Madagascar. Les principales menaces sur la biodiversité de l’île sont engendrées par l’agriculture (culture sur brûlis) et la déforestation, mais aussi par l’exploitation incontrôlée de la faune et de la flore.

Trois massifs correspondant à des remontées d’anciennes barrières coralliennes du même âge liées au volcanisme à l’ouest de l’île sont les Tsingy de l’Ankarana, de Bemaraha et de Namoroka, ce dernier étant le moins exploré. Une expédition française, sous l’égide du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), « Namoroka 2012 », a été organisée au Tsingy de Namoroka en septembre 2012 et un ouvrage superbe publié en 2015 relate le périple de ces « savanturiers », scientifiques aventuriers et explorateurs du Muséum qui scrutent la biodiversité.

Le Tsingy de Namoroka fait partie des dix premières réserves créées sur la Grande Île. Il est protégé depuis 1927 en qualité de réserve intégrale initiée par le Professeur Humbert, puis comme réserve spéciale dès 1966. Ce parc s’étend sur environ 200 kilomètres carrés (22 227 ha), avec une altitude comprise entre 71 et 227 mètres. Il se situe à 80 km du bord de mer à vol d’oiseau. Le site n’est accessible que durant la saison sèche car les pluies submergent les voies d’accès terrestres dès novembre.

En arrivant sur place, tous les visiteurs éprouvent une impression de paysages d’un autre monde, mélangeant harmonieusement falaises, canyons, gouffres, parois rocheuses verticales découpées et gigantesques blocs calcaires éparpillés ou agglomérés. Le sous–sol quant à lui renferme de nombreuses grottes, des étendues d’eau souterraines, des gouffres et des résurgences d’eau d’une pureté inimaginable. En effet, ce paysage tourmenté d’apparence désertique en surface cache un considérable réseau hydrographique souterrain. C’est un site majestueux, aucun doute. On y trouve aussi des restes comme des poteries qui attestent d’une occupation humaine relativement ancienne dans les grottes, tout comme des fossiles animaux de lémuriens géants ou d’autres espèces disparues.

Le terme de Tsingy tient son origine d’un nom malgache qui signifie « on y marche sur la pointe des pieds » car ses rochers sont très coupants, souvent proches des rasoirs. La circulation y est très dangereuse et des précautions doivent être prises par tous les participants – la moindre chute peut avoir des conséquences dramatiques voire mortelles.

C’est dans le cadre de la mission « Namoroka 2012 » que Ivan Ineich, chercheur à l’Institut de Systématique, Évolution et Biodiversité (ISyEB – CNRS, MNHN, UPMC, EPHE) du Muséum national d’Histoire naturelle, a pu collecter de nuit un unique exemplaire d’un gros lézard particulièrement intéressant de la famille des geckos. Il s’agit en fait d’une espèce nouvelle pour la science, inconnue auparavant. Cette espèce a été décrite avec ses deux collègues allemands également spécialistes des reptiles, tout particulièrement ceux de Madagascar, Frank Glaw (Muséum de Munich) et Miguel Vences (Université de Braunschweig). Elle a été baptisée Blaesodactylus victori, le gecko velouté malgache de Victor, en hommage à Victor (1989-2013), le fils de I. Ineich, tragiquement disparu le 30 janvier 2013 durant une avalanche dans les Alpes françaises (Massif du Taillefer). Victor aussi s’était rendu à Madagascar et a été enchanté par l’extrême beauté de cette île.

 

Ce lézard est le plus primitif de son groupe, ce qui est vérifié à la fois par sa morphologie proche des formes sud-africaines dont il dérive, mais également par sa signature génétique qui le place dans son genre tout à la base des espèces de Madagascar. Son étude a également permis de trouver d’autres caractères typiques de ces lézards à la base du groupe, comme par exemple une coloration noire de l’intérieur des narines. Ce nouveau lézard accompagne à présent un tout petit caméléon (Brookesia bonsi), tous deux endémiques du Tsingy de Namoroka. Une seconde expédition du MNHN est prévue dans ce site cet automne et d’autres découvertes attendues. Les auteurs de cette publication espèrent que leur travail contribuera à accroître la protection insuffisante de ce Massif qui constitue sans aucun doute un site exceptionnel autant par ses paysages que par sa biodiversité.

 

Référence : Ineich Ivan, Glaw Frank & Vences Miguel, 2016 – A new species of Blaesodactylus (Squamata: Gekkonidae) from Tsingy limestone outcrops in Namoroka National Park, north-western Madagascar. Zootaxa, 4109(5): 523-541.